Elles sont éleveuses de dromadaires, de bufflonnes ou de chèvres angora, cultivent des tubercules asiatiques, des bambous à usage alimentaire, sont pépiniéristes pour des essences venues, ou revenues d’ailleurs : la place des cheffes d’exploitation ne cesse de se renforcer dans les introductions nouvelles et les productions décalées de terroir : un tiers des producteurs suivis par la revue MiKoRiZe depuis deux ans sont des femmes. Et le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne font pas les choses à moitié, que ce soit dans la volonté de transformer elles-mêmes les produits de leur élevage ou de leurs champs, de se lancer dans une diversification audacieuse ou très souvent, de changer de vie pour devenir agricultrice.
Certes, diversification ou changement d’itinéraire s’effectuent parfois avec une vie d’agricultrice déjà bien établie ; on trouve également des jeunes femmes issues de familles agricoles qui poursuivent dans cette voie en adoptant de nouvelles cultures. C’est le cas de Manon Mounaix qui a choisi pour son installation le bambou de culture¸ une production qui pouvait lui laisser du temps libre et qui était compatible avec sa vie de jeune mère de famille. Parfois on assiste à un « retour à la ferme » : Emma Jean-dit-l’Hopital, petite fille d’agriculteur et fille d’horticulteur s’est installée éleveuse de chèvre Angora et productrice de mohair après avoir pensé devenir photographe.
Les productions décalées constituent souvent une porte d’entrée pour des femmes qui se sont éloignées du milieu agricole familial ou même Non Issues du Milieu agricole (NIMA). Certaines ont suivi des formations scientifiques exigeantes. Nhung Nguyen-Deroche, docteure en biophysiologie, a quitté l’université pour créer une entreprise de sélection de tubercules de konjac, un tubercule asiatique aux vertus diététiques bien établies. Sa société transforme également le tubercule en pâtes : une réponse aux importations de nouilles de konjac.
Alison Arraud, biologiste de formation, a abandonné les laboratoires pour cultiver des champignons au goût ou au physique étonnants, très prisés des restaurateurs de la côte basque, une production ancrée dans la logique du circuit court et de la mise en valeur des ressources locales. Cette quête de sens dans les débuts des nouvelles aventures agricoles n’est sans doute pas exclusivement féminine, mais elle joue probablement un rôle dans la présence croissante des femmes dans les productions décalées de terroir.
Finissons ce tour d’horizon par un village du Béarn : Mesplède, 334 habitants. La commune connait ces derniers temps un certain regain d’activité agricole : apiculteur, maraîcher, culture et transformation innovantes du lin sont venus donner un nouveau souffle agricole dans ce coin des Pyrénées Atlantiques loin des agglomérations. Une ferme vient d’y reprendre vie après cinquante ans d’abandon. Hortense Reynard y a créé un élevage de bufflonnes et une fromagerie qui produit l’unique mozzarelle au lait de bufflonne du département. Pour en arriver là, Hortense a dû braver la dureté physique du métier dans ses premiers stages : elle qui n’était pas fille d’exploitant n’y était préparée. Elle a dû affronter le regard et les réflexions de ses collègues et employeurs masculins sur ses aptitudes à assumer les tâches les plus techniques et les plus rudes de l’élevage. Mais ces « piques » et sa passion pour les animaux lui ont permis de surmonter les obstacles, de faire ses preuves au-delà de ce que l’on demanderait au fils d’agriculteur du coin pour s’installer. Et la « Bufflonne Béarnaise » est là. Hortense Reynard n’y ménage pas son temps de travail mais a adapté l’élevage en termes de conduite et d’aménagements pratiques pour ne pas trop malmener son corps. Aujourd’hui soutenue par ses collègues masculins, elle espère néanmoins l’installation d’une voisine agricultrice avec laquelle le dialogue et la compréhension seraient plus immédiats.
L’arrivée de ces cheffes d’exploitation audacieuses et innovantes constitue l’un des espoirs de renouvellement dans un contexte marqué par un vieillissement accéléré de la population agricole et un risque de déprise inquiétant. Ces initiatives doivent être soutenues, notamment par le consommateur qui détient l’une des clés de leur succès.
pour en savoir plus :
- La ferme Laneya (Emma Jean-di-l'Hopital) https://fermelaneya.fr/
- France- Konjac (Nhung Nguyen-Deroche) https://france-konjac.fr/
- La Bufflonne Béarnaise (Hortense Reynard) : https://www.facebook.com/profile.php?id=100084933591500&sk=about
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