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Photo du rédacteurMarc Lohez

Les Z'habitants du Gers


Un beau dimanche de septembre, autour de trois grands bassins rectangulaires, de petits groupes visitent un élevage, achètent de grandes crevettes fraîches ou les dégustent à la plancha. Ils peuvent accompagner ces gambas de bière locale, de carpaccios de légumes, , ou se restaurer avec une pizza servie dans un magnifique camion de collection (« type H ») et sortie d’un très beau four couvert d’éclats de faïence. Mais nous sommes dans le Gers près de Mirande, et ces Gambas ont été élevées dans l’eau douce. Ces animaux particuliers, avec des longues pinces bleues pour les mâles dominants sont originaires du sud-est asiatique.

Macrobrachium rosenbergii a vu son élevage se mondialiser, au-delà du continent asiatique[1]. Elle est même présente dans des territoires français outre-mer, notamment en Martinique où elle côtoie d’autres z’habitants[2]. Mais en France, et même en Europe continentale, c’est une première. Élever une espèce des régions tropicales en zone tempérée implique une saison courte : le début d’automne, avant que l’eau des bassins ne devienne trop froide. Incapable de se maintenir dans nos eaux et de s’y reproduire, Machrobrachium rosenbergii ne représente aucun danger de dissémination d’une espèce invasive. Chaque pêche consiste en fait à vider l’un des bassins pour y récupérer les gambas. Du fait de la faible densité de l’élevage, elles ne sont nourries que par ce qu’elles trouvent dans les étangs, le milieu étant ensemencé avec du tourteau de tournesol produit localement. La dimension durable de l’élevage, s’accompagne d’une vente en circuit court. Celle-ci concerne aussi l’autre production des étangs : les crevettes parties, ils sont consacrés au grossissement des truites.


Cet élevage unique qui se veut à l’avant-garde d’un mouvement de diffusion plus large s’inscrit parfaitement dans la grande tradition des aventures aquacoles de l’hexagone. La France est un pays pionnier de l’aquaculture : dès le 19ème siècle, les hommes du terrain se sont alliés aux chercheurs, aux instituts techniques, pour trouver des solutions aux problèmes de ressources et d’environnement : l’élevage de truite, l’ostréiculture étaient une réponse à la diminution de ressources affectées à la fois par la surpêche et par la dégradation de l’environnement. Très tôt, des espèces allochtones ont été introduites, plus productives ou résistantes. Dans le cas de l’esturgeon Ascipenser baeri, d’origine sibérienne, il s’agissait d’avoir un modèle de reproduction pour sauver l’esturgeon européen, menacé d’extinction dans son dernier refuge, l’estuaire de la Gironde. L’introduction de la crevette impériale, Penaeus japonicus, a été liée à la volonté d’aménagement des marais atlantiques qui étaient en voie de dégradation[3].


Les motifs environnementaux des introductions[4] des esturgeons et des crevettes se conjuguent, comme pour toutes les autres espèces[5] qui ont rejoint l’hexagone depuis la fin des trente glorieuses, d’un changement de regard sur les territoires de production agro-alimentaires. La France a développé des stratégies de mise en valeur fondées sur l’origine de la production ; il s’y pratique une reconnaissance des territoires axée autour de la mise en valeur patrimoniale et gastronomique de ceux-ci, en lien avec le tourisme. Dans les sociétés d’abondance des pays occidentaux, le lien entre la production alimentaire et la subsistance s’est éloigné. La massification a pu par ailleurs conduire à une perte de sens de la production. Mais face à la concurrence internationale, la recherche de valeur ajoutée par la labellisation de la qualité et de l’origine a plus récemment mis en avant les dimensions complexes et culturelles de ces activités, le lien avec leurs territoires.


Les espèces étrangères introduites récemment se sont inscrites pleinement dans ce contexte, au point de faire émerger ce que l’on peut appeler un « exotisme de terroir ».

Les « Gambas d’ici » de Géraud Laval illustrent parfaitement le développement de ces élevages lié à la fois à des perspectives environnementales et à l’exotisme de terroir qui entretiennent des relations croisées. Ainsi le logo de son entreprise représente unMacrobrachium, reconnaissable à ses longues pinces bleues, coiffé d’un béret. Décrivant les atouts de son élevage[6], il l’oppose symboliquement à tout ce que la consommation habituelle et assez massive de gambas par les Français peut avoir d’absurde : un parcours de milliers de kilomètres d’un produit congelé et dénaturé, fruit de la surpêche où d’élevages intensifs mettant en dangers des milieux naturels. L’accent mis sur la production et la consommation locale, le lien social que constitue les visites (guidées et très pédagogiques) de l’exploitation met en avant une notion de terroir à la fois naturel et social. Le terroir devient alors un lieu de réappropriation de l’alimentation par les populations locales[7]. D’autres productions exotiques de terroir mettent davantage en avant celui-ci en tant que « destination », c’est-à-dire en lien avec le tourisme, pour un marché plus régional ou national, voire international dans le cas du caviar d’Aquitaine. On trouve une situation hybride entre ces deux axes dans les élevages de crevettes impériales intégrés aux exploitations ostréicoles des marais charentais et du Médoc : ils permettent une dégustation-visite locale, mais constituent aussi un outil de promotion touristique.

[1] New, M. B, Cultured Aquatic Species Information Programme Macrobrachium rosenbergii. Cultured Aquatic Species Fact Sheets, Dans: Division des pêches de la FAO [en ligne]. Rome, en ligne : http://www.fao.org/fishery/culturedspecies/Macrobrachium_rosenbergii/fr , consulté le 3 octobre 2019. Aux Etats-Unis, l’élevage semi-extensif, avec peu d’intrants, de ces crevettes a fait l’objet d’une étude dans l’état du Kentucky au début du siècle. Wurtz William, LOW-INPUT SHRIMP FARMING IN KENTUCKY, Macrobrachium rosenbergii , World Aquaculture, 38(4): 44-49, 2002 [2] Z’habitants ou ouassous est le nom nommé à des crevettes cuisinées localement. DEAL de la Martinique, Crustacés terrestres et d’eau douce, août 2020, en ligne http://www.martinique.developpement-durable.gouv.fr/crustaces-terrestres-et-d-eau-douce-a1494.html consulté le 3 octobre 2021 [3] Weber, Jean L'ECONOMIE D'UN SECTEUR AQUACOLE : LA CREVETTE IMPERIALE SUR LE LITTORAL ATLANTIQUE, IFREMER, 1988, en ligne : https://archimer.ifremer.fr/doc/1988/rapport-2429.pdf Consulté le 3 octobre 2021 [4] Depuis une trentaine d’année pour A Baerii et P. Japonicus [5] En dehors de l’aquaculture : autruches, bisons et autres bovins, chameaux pour les productions animales, nombreux fruits et légumes dont la patate douce, les chayottes, les arachides, le kiwi… [6] Présentation de son élevage par Géraud Laval dans le cadre d’un concours « Talents Gourmands » , en ligne https://www.talents-gourmands.fr/geraud-laval consulté le 3 octobre 2021 [7] Situation assez proche de cultures végétales comme celle des patates douce et des chayottes dans le sud-ouest. Un exemple dans le Béarn : la ferme Larqué à Assat : en ligne https://www.facebook.com/FermeLarque/photos/champ-de-patates-douces/256242978415203/ consulté le 3 octobre 2021

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